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Lumière Silencieuse - carlos Reygadas (2007)


FUCK YOU BILL MURRAY

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LE MONDE, LA CHAIR ET LE DIABLE

De la contemplation, Carlos Reygadas en a fait la matière première de son cinéma. Après un premier essai un peu bancal (JAPON), trop occupé à produire du fascinant pour parvenir à fasciner vraiment, il n'aura fallu à Reygadas que deux films pour passer du statut d'apprenti hypnotiseur à celui de grand magicien.

BATALLA EN EL CIELO n'a rendu personne indifférent. Capable d'aborder sérieusement de front de multiples thèmes (questionnement sur l'identité mexicaine contemporaine, la culpabilité, la condition humaine coincée entre diabolisme et sainteté) à travers une forme ambitieuse et singulière (plans séquences complexes en décors naturels, élipses pour le moins étranges, un sens du cadrage insolite), ce film était loin de mériter d'être réduit aux quelques "scènes chocs" qu'il contient. Pour la plupart mal comprises, et bien que pour de mauvaises raisons, ces scènes permirent tout de même au film d'attirer l'attention sur lui. Ne restait plus qu'au spectateur perspicace de comprendre à quel point ces "scènes chocs" faisaient sens avec l'audacieuse réflexion avancée (car croyez-le ou non, chez Reygadas, une fellation en dit cent fois plus sur la lutte des classes que dix ans d'abonnement au journal de FO).

 

VOIE ROYALE VERS L'INTROSPECTION

Malgré l'homogénéité formelle et thématique de ces deux premiers métrages, il était cependant difficile d'imaginer à quoi allait bien pouvoir ressembler le troisième Reygadas. La réponse se résumerait presque en deux mots : austérité et modestie. Après la bruyante Bataille, place à l'accalmie et à la méditation : LUMIÈRE SILENCIEUSE.

Comme le savait Georges Bernanos, "on ne comprend absolument rien à la civilisation moderne si l'on admet pas tout d'abord qu'elle est une conspiration universelle contre toute espèce de vie intérieure" (1). A ce titre, le dernier Reygadas peut-être considéré comme une sorte de voie royale vers l'introspection. Et la salle de cinéma de se faire zone intemporelle où l'on se retire du monde moderne pour prendre le temps d'observer, de réfléchir.

 

Pour comprendre LUMIÈRE SILENCIEUSE, peut-être faudrait-il retourner aux origines du projet afin de d'entrevoir l'étonnement que fût celui de Carlos Reygadas lorsqu'il rencontre à la fin du tournage de BATALLA EN EL CIELO les membres d'une communauté mennonite (communauté protestante anabaptiste fondée au XVIe siècle et vivant de l'agriculture dans la plus complète autarcie) dans le nord du Mexique. Lorsque lui vient l'idée d'introduire la tentation de la chair dans l'existence de ces humbles fermiers.

Pour comprendre LUMIÈRE SILENCIEUSE, sans doutes devrions-nous ranimer notre curiosité pour une poignée de films de Carl Theodor Dreyer (Ordet, en tête) ou de Bergman afin de comprendre l'estime que Reygadas porte à ce cinéma nord européen d'une autre époque (pas si éloigné que ça de nous en terme temporels mais tellement loin de "nos" affligeantes préoccupations contemporaines).

Pour comprendre LUMIÈRE SILENCIEUSE, c'est au bon vieux rationaliste qui est en nous à qui il faut tordre le cou.

 

CÉLÉBRER L'HOMME LIBRE

Raconter une histoire se déroulant exclusivement au sein d'une communauté mennonite revient à méditer sur l'essence de chaque chose. la simplicité de la vie de ces fermiers nous y invite. La mise en scène de Reygadas nous impose son rythme et les vertus de son regard. Voilà pourquoi ici une affaire d'adultère ne tourne pas au drame ou en interminable pugilat, mais nous donne plutôt l'occasion d'observer de près les mystères et les nombreux pièges que renferme la complexe notion de désir.

Dans notre monde d'hypercommunication marchande, le mot désir est bien souvent un pseudo-indicateur positiviste de vérité : Vous désirez donc vous Êtes (un consommateur potentiel). Chez les mennonites, le désir est d'abord suspecté d'être un piège du malin. Son assouvissement et ses conséquences, ou son rejet, se doivent d'être soigneusement pesé.

 

Dans LUMIÈRE SILENCIEUSE, ce n'est ni dans les mots, ni dans la surabondance de signes, de symboles ou de métaphores que l'histoire se répand mais à travers une impavide observation du déroulement de l'existence dans ce qu'elle a de plus nu (quitte à passer auprès des idiots pour un type qui filme les pétunias, quitte aussi à frôler parfois de très près l'ennui). La confiance que Reygadas a en ses images, leur capacité à nous parler par delà les mots et les concepts est désormais totale. Il s'agit si peu de raconter une histoire, ou de transmettre un message. C'est un "savoir-regarder" qu'il nous lègue. Sa mise en scène agit comme une révélation, aussi bien dans le sens mystique que pragmatique du terme. Pour sûr, nous sommes bien au cœur du cinéma. Ou plutôt au cœur de ce que devrait être tout film de cinéma : un regard fort, un enseignement inattendu, une brèche vers un monde de sensations nouvelles, vers une expérience singulière et pourtant universellement accessible.

 

Éloigné du crasseux rationalisme contemporain, mais aussi de tout ésotérisme de pacotille, Carlos Reygadas tente une fois de plus d'évoquer les mystères de la vie terrestre et nos vaines recherches de transcendance. Dans LUMIÈRE SILENCIEUSE, l'amour, la foi, le pardon jouent un rôle prépondérant. Étrangement, on se sent à mille lieux de tout prosélytisme religieux. Son refus de porter tout jugement envers ses personnages et leurs croyances laisse penser que l'essentiel est ailleurs. Que le jugement des autres est encore un signe de pesanteur.

 

En 1922, Jean Epstein disait déjà "Je n'estime à sa juste valeur une machine que si je peux m'y émouvoir" (2). Avec ce troisième film, Reygadas semble s'être définitivement affranchi de l'emprise et de la lourdeur de la machinerie cinématographique. L'appareil est désormais totalement au service de sa poétique. Au cinéaste de célébrer l'Homme Libre à travers un cinéma libre, d'imprimer fermement la singularité de son cinéma dans une époque vouée au clonage. Une telle démarche et une telle maîtrise de l'outil forcent le respect, qu'elle que soit la manière dont le spectateur ait bien pu appréhender le voyage.

 

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(1) Georges Bernanos, La France Contre les Robots, Ed. Le Livre De Poche, Paris, 1947

(2) Jean Epstein, La Lyrosophie, Ed. A La Sirène, Paris, 1922

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  • 6 years later...

La claque souhaitée et attendue il est vrai tant les autres réalisations de Reygadas sont radicales, mais claque tout de même.

 

Bel effort pour le texte ci-dessus: écrit, juste si j'ose dire, pour ZB? Enfin, espérons que cette courte réponse vous encourage à vous laisser hypnotiser.

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