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On se Calme et on boit Frais... - Max Pécas (1987)


Nicolas

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  • 1 year later...
Le nom de Max Pécas évoque irrémédiablement la série Z, les nanars invraisemblables. Quand on songe aux grandes trilogies du cinéma français, le titre qui vient à l'esprit est MARIUS de Pagnol. La trilogie marseillaise. On oublie souvent la trilogie tropézienne de Pécas : LES BRANCHES DE ST TROPEZ (1983) DEUX ENFOIRES A ST TROPEZ (1986) ON SE CALME ET ON BOIT FRAIS A ST TROPEZ (1987). Ces films sont une surenchère de gags foireux, de filles en bikini, de rires gras, un festival d'acteurs qui cachetonnent. Supportables au troisième degré. Mais ceux sont aussi des métrages qui ont remporté un vif succès en salle, à l'instar des films de Philippe Clair. Une époque où les Charlots, les Bidasses, et autres Septième Compagnie dominaient le cinéma comique.

 

Ce que l'on sait moins, c'est le second parcours de Max Pécas dans le cinéma français. Comme beaucoup de metteurs en scène, qui, dans les années 70 ont tourné des films érotiques, voir pornographiques (avec son collègue José Bénazéraf), Pécas utilisait un pseudonyme quand il s'agissait d'aborder des projets personnels : Paul Leloup.

 

Né en 1925, à Lyon, Max Pécas rejoint après guerre un petit groupe de jeunes critiques de cinéma, et participe à des réunions enflammées avec Jacques Doniol-Valcroze, Eric Rohmer et André Bazin, sur ce que devrait être, selon eux, la nouvelle doctrine du cinéma français. Les bases des CAHIERS DU CINEMA, puis de la Nouvelle Vague, sont lancées. Pécas fraye avec ce milieu pendant toutes les années 60, croise Vadim, Bardot (qu'il présente à HG Clouzot), oeuvre à la Cinémathèque française avec Langlois, organise des rétrospectives de grands cinéastes américains. C'est lui qui convainc Samuel Fuller de participer au PIERROT LE FOU de Godard. Il devient un ami proche de Jacques Rivette (dont il est le parrain de la fille). Il se lie aussi avec le jeune Bertrand Tavernier, à l'époque attaché de presse, qu'il croise dans la rédaction des CAHIERS et lui aussi natif de Lyon. Tavernier, qui passe à la réalisation en 1974, dira plus tard toute son admiration pour Pécas, et ce qu'il lui doit. D'autres auront plus de « pudeur » à évoquer le nom de Pécas... Comme Jean Pierre Melville qui fit l'impasse sur celui grâce auquel il bâtit les Studios Jenner en 1955, et qui aida au montage financier de BOB LE FLAMBEUR la même année.

 

C'est en 1956 que Paul Leloup réalise son premier film : L'OREE DU BOIS. Drame sombre et introspectif sur la difficulté de perdre un enfant, il lance la carrière du jeune Pierre Vaneck. L'influence de ce film sur l'oeuvre future d'un Pialat est incontestable. Ours d'argent au festival de Berlin, le film est un échec commercial, ce qui n'empêche pas son auteur de récidiver avec LE PARDON DE MORPHEE (1957) avec Gérard Blain et Hénia Sucha. Là, on serait en droit d'évoquer Bresson, tant les deux hommes (qui se connaissaient et s'estimaient) renouvellent l'approche d'une mise en scène minimaliste, refusant les effets ostentatoires, jouant sur la dilatation du temps réel. Hénia Sucha retrouvera Paul Leloup, cette fois sous le patronyme de Pécas, en 1960, pour LE CERCLE VICIEUX d'après un roman de Frédéric Valmain (pseudo de Frédéric Dard...). La musique est signée Charles Aznavour, pour qui Pécas écrira des dizaines de textes, entre 58 et 65. Désormais, le nom de Pécas ne quittera plus l'affiche, dans des productions érotico-policières, puis dans la comédie franchouillarde. Mais il signe toujours Paul Leloup des scénarios pour Rivette, Resnais, Eustache, Astruc, Franju, réalise le poignant CARROUSEL en 1973, MON DEFUNT AMOUR en 1978 (la même année que EMBRAYE BIDASSE, CA FUME, sous le nom de Pécas, ça frise la schizo) et MEMOIRE MIROIR en 1984, son dernier film sous le nom de Leloup. Il rachète un cinéma à Paris, le Brady, qu'il offre à son ami Jean Pierre Mocky. Rarement cinéaste aura pu mener à bien deux carrières parallèles. Des films personnels, engagés, à l'esthétique revendiquée (Leloup était aussi photographe, peintre, et sculpteur à ses heures) mais au succès confidentiels, financés par des grosses comédies pataudes qui trônaient au box office.

 

Max Pécas, qui retranscrit les entretiens entre Truffaut et Hitchcock et qui persuadera Truffaut de participer à RENCONTRE DU TROISIEME TYPE de Spielberg, reste attaché à un genre honni, moqué, méprisé. C'est oublier le trajet réel de ce personnage atypique, discret, à l'origine de carrières comme celles de Téchiné, Miller, Pialat, qui fut assistant de production pour Renoir, Clouzot ou Carné dans les années cinquante, qui fit beaucoup pour les rétrospectives Lang, Hawks, Preminger, faisant venir ces metteurs en scène à Paris, grâce à ces contacts hollywoodiens (et sa troisième femme Liza Hedburn, soeur d'Audrey), fruit de nombreux séjours en Californie lorsqu'il travaillait comme distributeur associé au département européen de la MGM. Ses amitiés là-bas, lui permirent de faire sortir Jules Dassin et Joseph Losey des griffes du maccarthysme, et de financer leurs carrières européennes. C'est lui encore qui décide Alain Delon de produire MONSIEUR KLEIN, dont il est l'instigateur. Pécas/Leloup conseille à James B. Harris et Stanley Kubrick de tourner LOLITA en Angleterre (via la filiale MGM anglaise) pour contourner la censure américaine et profiter de nouveaux financements. Et ainsi décider indirectement de la nouvelle orientation de la carrière de Kubrick, qui installé près de Londres, y tournera jusqu'à la fin de ses jours.

 

Les films de Paul Leloup sont désormais introuvables, non réédités. J'ai eu la chance d'en voir deux, au Brady justement. Formellement incroyablement maîtrisés, d'une justesse psychologique constante, d'une modernité aujourd'hui encore avérée, ils restent des joyaux dont peut s'enorgueillir le cinéma français. Max Pécas ne regrette rien de cette double carrière, ses comédies ont eu du succès, et le public les plébiscite à la télévision. Pécas décède en 2003, à Paris, sans avoir pu faire aboutir son dernier projet, avec Jeanne Moreau (rencontrée et aimée sur EVE de Losey) et Vincent Cassel : une fable écologique en 3D, ayant pour sujet la colonisation de la planète Pandora (en hommage au film d'Albert Lewin, le film préféré de Max Pécas).

 

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