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Punch drunk love - paul thomas anderson - 2002


Basculo Cui Cui

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Film américain de Paul Thomas Anderson (2001), quatrième film du réalisateur de Magnolia. Prix de la Mise en Scène au Festival de Cannes 2002. Avec Adam Sandler (Barry Egan), Emily Watson (Lena Leonard)... Sortie française : le 22 Janvier 2003

 

Va savoir. San Fernando Valley, la banlieue de Los Angeles. Dans un hangar désert, un homme s'affaire engoncé dans un costume bleu. Pourquoi a-t-il fait preuve d'une telle coquetterie aujourd'hui, il n'en sait rien. Pas plus que la raison pour laquelle il a ramassé un harmonium balancé par des inconnus devant son lieu de travail après qu'une voiture ait fait une embardée. Sait-il d'ailleurs pourquoi il s'escrime à vendre des déboucheurs dans sa petite entreprise.

 

Heureusement son bras droit, Lance, semble maintenir tant bien que mal le cap. Il faut dire que Barry n'avait pas toutes les prédispositions pour s'intégrer aisément au moule, il est en effet flanqué de sept sœurs dont le plus grand plaisir reste de le persécuter et le mettre au supplice sur ses relations avec la gente féminine. Pas étonnant dès lors qu'il ait développé un comportement catatonique : impavide et intimidé la plupart du temps il explose en crises paroxystiques et dévastatrices lorsque son environnement l'agresse et l'oppresse. C'est ce qu'il fera lors d'une soirée concoctée par l'engeance sororale (il ne sait pas davantage pourquoi il s'est laissé convaincre d'y venir) en détruisant une baie vitrée à coups de pieds. Dès lors tout s'enchaîne. Un coup de fil malheureux à un service de téléphone rose l'expose à une fratrie vindicative de l'Utah tandis qu'il rencontre une jeune femme dont il tombe éperdument amoureux, Lena. Sans oublier que dans le même temps il vient de percer la déficience de l'offre promotionnelle des produits Healthy Choice, à savoir que pour 3000 dollars d'achats de pudding il se verra offrir près de deux millions de kilomètres en avion. Une aubaine pour celui qui se révèle n'être à sa place nulle part.

 

La panthère bleue. Quelle énigme que le cinéaste Paul Thomas Anderson, dont chaque création nous plonge dans une perplexité toujours plus frustrante quant aux intentions de l'artiste. Impossible en effet de cataloguer un jeune surdoué donc chaque mise en image léchée ou plan séquence virtuose a tout de l'effronterie désinvolte. Ses trois précédents longs métrages sont des laboratoires d'expérimentation constante, à la recherche d'un style au milieu d'une multitude de références. Ainsi Sydney (plus connu sous le titre Hard Eight, sélectionné dans la catégorie Un Certain Regard à Cannes en 1996), le déconcertant Boogie Nights (nominé aux Oscars) et le choral et fleuve Magnolia (Ours d'Or à Berlin en 1999) ont toujours divisé leurs auditoires. Il en sera de même pour cette comédie euphorisante et pétillante qui déroutera ceux qui avaient un peu trop rapidement enfermé l'auteur dans un style maniériste à la Wes Anderson (La Famille Tenenbaum) ou une esbroufe purement gratuite et arty que ne renierai pas Steven Soderbergh. Néanmoins ses chroniques aussi acerbes fussent-elles n'ont rien de l'acidité et de l'aigreur de Todd Solondz (Happiness). Pourtant le film (écrit à partir de l'anecdote publié dans Time d'un ingénieur, David Phillips, qui gagna 2 millions de kilomètres en achetant 12 150 pots de pudding et qui fut surnommé "Pudding Guy") pourrait se revendiquer des trois cinéastes par son design sonore parfois désabusé et mélancolique, par une mise en scène absolument jubilatoire –- on rejoindra ici une presse unanime qui a qualifié le long métrage de "pure mise en scène", effectivement la maîtrise est étourdissante et suffit à elle seule à insuffler l'énergie nécessaire au développement de l'intrigue, comme si l'œuvre n'avait de sens et n'existait que pour le mouvement, le flux – ou par son propos qui brocarde une Amérique banlieusarde, guindée et engoncée dans une amoralité et une violence qui ferait passer la rêverie et les fantasmes de Barry pour les pires perversions à éradiquer de toute urgence.

Accords et désaccords. Il aisé au fil de la projection de reconnaître d'autres référents et adjuvants, assumés ou non. Bien sûr Jacques Tati pour l'utilisation du son, la musicalité du plan (ce souffle qui nous cloue au fauteuil lors du passage d'un camion, ce clignotement qui accompagne les crises d'angoisse du héros lorsque son entourage se met à tourbillonner…) et le gag acoustique, mais sans jamais toucher à cette poésie

 

diffuse qui le rend inégalable. On y retrouve aussi la propension de Jerry Lewis pour le burlesque et l'absurde ainsi que le technicolor. David Lynch vient en outre à l'esprit pour le comique ubuesque à contretemps et l'étrangeté qui surgit au détour du quotidien de même que la dualité d'un monde oscillant entre deux pôles manichéens. Enfin il y a toujours Robert Altman en filigrane. Car loin du polyphonique Magnolia où l'hommage à Short Cuts était flagrant, nous voici catapulté aux antipodes avec un film court, intimiste, effervescent et idiosyncrasique. Pourtant il y a toujours un aspect choral mais brillant par son absence. En effet dans l'œuvre précédente la musique (somptueuses chansons d'Aimée Mann) englobait les personnages dans une danse à l'allant ouaté, elle les réunissait au sein du giron de l'évolution si bien qu'il finissait par chanter ensemble que "tout n'allait pas s'arrêter pour un petit malin". Ici, Barry représente le contre point puisqu'il se trouve en marge, sourd à la musique du monde. C'est ce que l'artiste présente dans une première scène d'anthologie, acérée et hautement métaphorique. Alors qu'il travaille en reclus dans un hangar désaffecté à l'aube –- le dialogue qu'il entretient avec le service consommation de Healthy Choice stigmatise la plaie qui ne cesse de tirailler ce monde, vendeur de concept sans fondements et clamant sans cesse l'addition de bonheur, de couleurs, de vies, mais survient alors aussi incongrue qu'imparable la question de Barry qui demeure en suspend sur la ligne téléphonique : "en addition de quoi" –, il est témoin d'un accident de voiture aussi impromptu qu'inopiné. Toute la fureur d'une société lancée à une allure vertigineuse vient de le heurter et au même instant un harmonium est déposé devant lui. Mais drapé dans son flegme – plus qu'une indifférence, nous pouvons y voir une inadaptation chronique au monde qui n'est que rarement le sien, il ne sait comment y vivre – il retournera travailler. Survient Lena (Emily Watson dans toute sa splendeur). Un ange presque désincarné et vaporeux. Une femme aux yeux profonds semblant flotter sur le sol, dégagée des servitudes de la pesanteur. Alors qu'il la suit des yeux (formidable scène ou nous suivons – collés à ses épaules, tel Barry qui la dévore du regard sans le montrer et qui est profondément chamboulé – la jeune femme jusqu'au bout de l'allée et qui nous laisse en équilibre précaire face à l'abîme vertigineux de la voirie, de la vie, alors qu'elle vient de tourner à gauche) survient un étrange changement en lui. L'amour vient de le cogner avec un crochet du gauche, et, KO, il se remet lentement du choc contre le mur bleu et blanc du bâtiment. Là, hagard, pris entre l'ombre et la couleur (il est cette bande bleue qui serpent au milieu d'un vaste étendue blanche) il est désorienté comme l'indique le titre original, en chute libre ou plutôt en début d'ascension irrésistible. Il retourne devant l'harmonium, devant son destin. La bande son disparaît et la caméra nous présente Barry figé devant l'instrument de droite, puis de gauche et enfin de face, comme un esprit qui répertorierait tous les points de vue envisageables avant d'arriver à une décision et de subsumer tous les paramètres à sa disposition. Il s'agit pour Barry de décider s'il convient ou non de quitter son retranchement, cette sorte de régression physique, sexuelle ou mentale dans laquelle il se complaît pour se protéger. Sa décision prise et l'harmonium saisi, un camion passe brutalement dans le champ avec force klaxons tonitruants. Barry s'est décidé à participer à la symphonie et de là, naît l'ambiguïté.

 

Dès son retour dans son bureau (il a perdu dans l'expédition son inséparable thermos de café, idoine à asseoir sa prestance), c'est démuni qu'il se met en demeure de jouer. Après quelques essais, il comprend que pour parvenir à entendre un son il faut libérer le soufflet, lâcher du lest et ainsi s'exposer à la déchirure – une avarie que l'on répare tant bien que mal avec du scotch. Alors, timidement, avec un doigt, Barry se met à étreindre les touches. Il n'ose regarder le clavier, presque pudique. Puis en surimpression de ces notes aléatoires, une musique survient, mais loin de submerger les maigres sons de l'harmonium, elle s'adaptent à eux, les enserre en son sein. Barry vient d'expérimenter la vie du monde, il prend part au tumulte polyphonique et accepte alors d'être brinquebalé par le flux ambiant. Bien entendu, l'instrument représente par ailleurs les dissonances (comme la loufoquerie et les changements de rythmes, hiatus abrupts pour un héros constamment en porte à faux) et les dysfonctionnements d'un couple. En amour tout est affaire de tempo pour P.T. Anderson (Fiona Apple son amie à la ville ne nous démentirait pas) et c'est ce rythme, cette folie douce qui nous entraîne au gré d'une partition aléatoire et inconnue qui procure la charme, la félicité et la beauté de ce sentiment. Or, Barry n'a rien d'un musicien et le solfège lui reste parfaitement étranger quant à ses syllogismes ils demeurent imprévisibles et biaisés par sa perception et son expérience du monde, teintées de naïveté et d'exagération. Pour lui l'univers n'est qu'une sorte d'amas de formes disparates, un espace-temps distordu et suspendu oscillant en de troublantes et infimes volutes. Le héros est central et le monde virevolte autour de lui. Des mouvements d'une futilité confondante qu'il ne peut appréhender puisqu'il ne parvient à déchiffrer le moteur de ce mouvement, l'entité bigarrée qui l'engendre. Le métronome s'emballe jusqu'à l'effondrement, puisque chaque personnage impose sa musique (encore une différence flagrante avec Magnolia), jusqu'à crier à autrui de "la fermer". Car la voix est une vibration au même titre que la musique et en ce sens elle est aussi dépositaire de l'âme de celui qui l'utilise, qui frappe les cordes (vocales ou autres). Ainsi, l'élocution de Barry se révèlera incertaine, empruntée et pâteuse, tandis que les contacts qu'il a avec l'extérieur tourne autour du téléphone. La rumeur d'une entité polymorphique et protéiforme mais surtout abstraite. Un courant moralisateur et castrateur dépourvu d'une identité claire, une immense confrérie régentant ses membres, ou plus torve encore les enjoignant à s'observer – dans un élan carcéral – les uns les autres (on entend mais on n'écoute plus). L'amour se transmue en mots mais le plus souvent il n'est contrebalancé que de pulsions onanistes, excepté lorsque Lena appelle Barry à la réception pour lui faire savoir qu'elle aurait aimé l'embrasser. Tout le déphasage est là entre le mot et l'action. Barry lui n'a pas les gestes qu'il faut et encore moins les paroles et lorsqu'il recherche le réconfort par la voix il s'expose à la déconvenue d'une harpie vénale qui ne cherchera qu'à tirer profit de sa gentillesse. Ces bruits sourds l'enchâssent au même titre que ces lignes droites qui enferme ses déplacements. Le salut ne réside que dans le quatre mains et une partition de fugue délicate, en catimini, ce qu'il comprendra au final.

Exit. Sous des airs rafraîchissants, minimalistes, absurdes et éminemment libre, l'œuvre cache un terrible paradoxe, celui d'être contrôlée et millimétrée jusqu'à l'étouffement tout en apparaissant – du fait de sa différence – intrinsèquement débridée. Pourtant la prolixité des regards et la profusion de trouvailles débordent à l'écran mais elles sont envisagées comme autant de taresqui affaiblissent le groupe. Le

 

cinéaste introduit alors son type de fiction, celle de la périphérie qu'elle soit physique, ontologique ou géographique. Ce qui l'intéresse est la marginalité (même si elle peut manquer de spontanéité) et cet espace nébuleux au bord de la rupture. Il initie un mouvement de balayage qui vise à débusquer le halo de diffraction d'une société comme d'un homme, rayon ténu et indicible qui nimbe les êtres et se trouve être la projection de leurs personnalités. Une apparition sensible du coin de l'œil. La perception des distances s'étiole au point d'être ébloui et de laisser son regard à la frontière de la mise au point, celle où les couleurs bavent et se mêlent dans une troublante cacophonie. Du fait le voyage physique de Barry devient un cheminement intérieur, où les distances – devenues métaphysiques – sont abolies. D'ailleurs il s'agit moins de partir, que de rentrer pour des protagonistes qui se débattent aux confins du monde, abandonnés par une société trop pressée de se focaliser sur ses objectifs et ambitions pour lambiner et s'enquérir de ses inadaptés. Pourtant ceux-ci sont peut-être les plus nombreux et ils errent à la recherche d'une prise dans le courant, d'un être à aimer. Le point de vue de Barry est celui d'un univers d'abord totalement clôt et imperméable, puis complètement décousu, assemblage disparate et collage abrupt de sensation, de sons et d'images. Un environnement physique fluctuant où les lois de la pesanteur s'applique par spasme, où le héros semble divaguer dans un autre temps (les trois tentatives pour entrer chez sa sœur) et un autre espace, dédale invisible (Barry passe un porte de profil puis se retourne de face puis repart de guingois) ou labyrinthe carcéral (ces murs plans de l'immeuble de Lena), confronté à des murs ou des préjugés qui sont autant de cloisons sur lesquels il se heurte. Mais les chocs ou les glissades ne font que le projeter toujours plus avant, toujours plus hébété, rebondissant dans un flux en suspension, primesautier et atmosphérique. La gymnastique est claire : il est obligé de réagir et d'abandonner toute velléité cognitive. Bref le monde de Barry est en complète implosion, un vertige mental qui vire à la chute libre. Littéralement tourmenté par la chape sororale qui l'agresse en permanence (les coups de fils incessants, les brimades, caquètements et vagissements de ce gynécée, sans parler de ses piètres beaux-frères complètement effacés et insignifiants), il est en panne de référent de l'image du père. La gageure du film est alors de nous présenter une véritable hagiographie d'un éternel enfant en quête d'identité sociale et sexuelle. Pourquoi sinon deviendrait-il incontrôlable lorsqu'on lui rappelle l'anecdote de son enfance et sa première crise alors que ses sœurs le traitaient de "gay boy" ? Lorsqu'on lui demande pourquoi il a fait telle ou telle chose il ne sait que balbutier en boucle "je ne sais pas" ou lorsque pris en faute après avoir saccagé les toilettes du restaurant dans lequel il dîne avec Lena il refuse de reconnaître l'évidence en se murant dans une attitude d'enfant honteux et cabochard, il exprime une régression aussi bien intellectuelle que physique.

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Un film splendide sur le coup de foudre et le sentiment amoureux ou Sandler fait (etonnament) des merveilles (oui, Fly va me tuer pour avoir dit ca...).

Plus fort, Anderson parvient a nous faire ressentir le malaise du personnage, sa gene face a l'etre aime, uniquement grace a sa mise en scene et je trouve ca vraiment impressionnant.

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  • 5 years later...

Bon, vu ! (ce Sandler là étant très conseillé par beaucoup de monde, pour le contre-emploi que ca signifie probablement, du genre "hey, mais en fait, il joue bien ce demeuré" ! ), enfin bref,...l'ensemble me laisse perplexe. Ca vaut une revoyure pour mieux s'attacher au style, charmant parfois, déroutant souvent, à ne pas assez en faire, ou a trop en faire. Que dire si ce n'est que la mise en scène est magistrale, malgré un côté "je me regarde filmer", mais tout cela n'est pas dérangeant en fin de compte. Que rajouter..si ce n'est que Sandler trouve un rôle à la mesure de son talent d'acteur. Qu'il y a là dedans trois des plus scènes romantiques que j'ai pu voir (le premier baiser, le second baiser...et le dernier baiser !)...mais c'est en effet très étrange...Ca aurait pu donner un pur chef d'oeuvre...et là, on a l'impression de voir un film superbe en plusieurs tranches inégales...

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Mon film préféré de Paul Thomas Anderson. Y a que le début avec l'accident et le piano mécanique que j'aime pas trop parce que je comprends pas. Mais le côté Tati, D&D Mattress Man, la scène du baiser qui est sur l'affiche (une des plus belles scènes que je connaisse), le jeu de Sandler, la relation avec les soeurs casse-couilles, la névrose, les employés, ça j'adore, et en plus Emily Watson, je suis fan.

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Le "He needs me, he Needs me" qui couvre toute une séquence assez magique, l'envolée musicale à partir du moment où Sandler court embrasser sa belle, la phrase qu'elle lui lance par téléphone juste avant, son discours final qui est, je pense, un très joli résumé de ce qu'est l'amour, et la scène du baiser de l'affiche, tout cela est effectivement très beau...après, s'il fallait un film de plus pour me dire que Sandler est bon acteur, c'est davantage un rappel qu'autre chose, mais ca m'a pas déplu !

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